CHALLENGE : Pour relever le défi de l’entreprise formelle au Sénégal, un outil de scoring a été mis en place. Idrissa Diabira, DG de l’Adepme, nous en explique les données (in Le Point, 31 janvier 2024).

Sénégal : « 97 % des entreprises n’ont pas d’état financier »

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Le Sénégal va vivre des élections cruciales le 25 février prochain. Si les questions politiques occupent le devant de la scène avec nombre de polémiques autour des candidatures, retenues ou rejetées, et autour du Conseil constitutionnel, les questions économiques demeurent prégnantes. L’agence de développement et d’encadrement des petites et moyennes entreprises (Adepme) y occupe une place de choix. Elle est au milieu du champ où se croisent les initiatives pour mettre à l’échelle les entreprises informelles afin de leur permettre, sur le chemin de la formalisation, d’être accompagnées, d’accéder à des financements et de se mettre sur une trajectoire de croissance. Si le dynamisme du secteur privé y gagne, l’État aussi y gagne à travers sa visibilité améliorée d’un secteur pourvoyeur de 9 emplois sur 10, mais aussi en termes de recettes nécessaires pour satisfaire les innombrables services publics qui lui incombent. Quel chemin est aujourd’hui emprunté pour relever ce défi colossal ? Idrissa Diabira, directeur général de l’Adepme a répondu aux questions du Point Afrique.

Le Point Afrique : L’environnement est-il suffisamment assaini pour que l’entreprise africaine puisse être viable ?

Idrissa Diabira : Ce qu’il faut noter, c’est que chacun appréhende l’entreprise à partir de la partie qu’il juge utile pour lui sans prendre en compte les autres parties. La conséquence est que l’entreprise ou la PME africaine est extrêmement désarticulée. Notre problème est que nous n’arrivons pas à évaluer sa performance, sa santé, ses capacités et ses faiblesses. Et de là découlent toutes les autres difficultés.

Quels outils d’évaluation imaginez-vous qui soient mieux adaptés à l’environnement économique ?

Un chiffre traduit ce qui se passe en Afrique. Au Sénégal, 97 % des entreprises n’ont pas d’état financier au sens du système de comptabilité ouest-africain. Cela signifie qu’on n’est pas en capacité de distinguer l’entreprise de l’individu qui la gère et donc d’appréhender les risques qui lui sont attachés. Ce qui vaut pour le Sénégal vaut aussi pour les autres et ce à partir du poste d’observation des institutions financières, des donneurs d’ordre et de l’État.

Pour remédier à cela, nous avons construit un outil de scoring qui nous permet d’évaluer la santé de l’entreprise. On le fait pour l’entrepreneur d’abord car il doit être suffisamment en confiance pour donner les informations dont on a besoin sans craindre le fisc derrière.

Nous avons construit un outil de scoring à partir des états financiers de l’entreprise, lorsqu’elle en a, ou à partir des données qui peuvent exister. Un système minimal de trésorerie nous permet de donner une note à l’entreprise, d’apprécier ses faiblesses, d’élaborer un plan d’encadrement pour la renforcer ou la rendre éligible à des financements à l’export ou à des marchés.

Cet outil d’évaluation, nous l’avons double certifié ISO 9001, ISO 27 001, et il constitue la porte d’entrée de notre démarche d’accompagnement des entreprises.

En somme, nous nous sommes donc mis en situation d’évaluer les entreprises en fonction de leur finalité, de leur niveau de digitalisation, de leur capacité d’export, de leur capacité à accéder à du financement ou à mobiliser des ressources. Autant d’éléments préalables à l’appui pour un plan d’encadrement.

En fait, vous ouvrez là la voie d’une formalisation progressive des entreprises, donc à accroître la possibilité pour l’État d’augmenter ses recettes…

Exactement ! J’aime souvent dire que si vous demandez à un entrepreneur s’il veut être formel, il y a de grandes chances qu’il soit soupçonneux et inquiet quant à la finalité de votre question.

Par contre, si vous lui demandez s’il veut être un futur champion, il y a de grandes chances qu’il vous dise oui.

Comment faut-il s’y prendre ?

Il faut d’abord savoir que ce n’est pas une fin en soi d’être une entreprise formelle. L’entrepreneur est un homo économicus qui regarde d’abord le bénéfice que son initiative va lui apporter. S’il voit que cela lui ouvre des financements et des appuis pour accéder à des marchés mais aussi des emplois et des structures sociales et ou de retraite, il se conformera. Derrière, on a établi un indice de formalisation qui permet de bénéficier progressivement des avantages de l’accompagnement.

Cela va-t-il changer le regard que l’extérieur pose sur les économies africaines ?

Absolument ! Notre défi est de construire des outils d’appréciation qui nous soient propres pour évaluer nos entreprises. Cela ne peut manquer de jouer sur la perception du risque africain jusque-là déterminé par les grandes agences de notation.

L’autre dimension du défi est de mesurer la performance de nos petites et moyennes entreprises. On sait que cette question n’est pas adressée par les grandes agences parce que trop complexe et pas forcément rentable.

Cela oblige nos États à mettre en place des éléments incitatifs pour évaluer de manière systématique les entreprises qu’ils accompagnent.

C’est ce qui est fait au travers de l’Agence de développement et d’encadrement des petites et moyennes entreprises (ADEPME) au Sénégal. L’enjeu, c’est de pouvoir toucher entre 20 000 et 50 000 entreprises en mettant en exergue des incitations, notamment fiscales, qui puissent les séduire.

La tendance est-elle bonne aujourd’hui au Sénégal et dans les pays voisins ?

Je dirais que oui. Nous avons, au mois de juillet dernier, lancé le guichet unique d’accès au financement des PME. La Banque centrale, sur les recommandations des chefs d’État et de gouvernement, a mis en place un dispositif de refinancement bancaire.

Comment cela fonctionne-t-il ? Une banque qui finance une PME accompagnée par une structure d’appui d’encadrement a la possibilité de se faire refinancer à un taux très favorable par la banque centrale. C’est une incitation très importante.

Pourquoi une structure d’appui et d’encadrement pour accompagner tout ça ? Parce que le problème central est celui de l’asymétrie d’information et la faiblesse des dossiers qui sont déposés. C’est donc toute la justification de la mise en place du guichet unique d’accès aux financements que nous avons lancé.

C’est une plateforme d’intermédiation entre tous les acteurs de la chaîne de valeur du financement, des structures d’encadrement aux institutions financières, qu’elles soient bancaires ou de capital-risque ou autres.

Il ne faut pas oublier le maillon très important des chambres de commerce qui, sur les territoires, sont les portes d’entrée des PME, lesquelles doivent être informées de toutes les étapes pour soumettre valablement un dossier. À ce niveau, les PME permettent de déterminer le standard des normes dans le processus d’accompagnement décrit. Il faut en effet savoir que les entrepreneurs ont des profils et des besoins différents, ce qui impacte les typologies de financement. En effet, le crédit-bail diffère du fonds de roulement qui lui-même n’a rien à voir avec les ressources à l’export, etc.

Au bout du compte, il s’agit de mettre en lien ces différentes catégories d’actifs. Pour ce qui nous concerne, ce travail de fond a été accompli durant ces quatre dernières années. Il a été lancé avec l’appui notamment de la Coopération allemande et va constituer un tournant dans le passage à l’échelle du volume de financement des entreprises, de moins de 10 % du portefeuille aujourd’hui à 30 % en 2028. Un challenge exaltant !

(in Le Point, 31 janvier 2024)

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